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PASCAL LACERENZA - Affiches lacérées
26 août 2011

De la fiche à l'affiche

« La lacération représente pour moi ce geste primaire, c'est une guérilla des images et des signes. D'un geste rageur, le passant anonyme détourne le message et ouvre un nouvel espace de liberté. Pour moi, les affiches lacérées rapprochaient l'art de la vie et annonçaient la fin de la peinture de transposition... »
                                                                                           Jacques Villeglé


                                                 DE  LA  FICHE  À  L'AFFICHE

Entrer dans le véritable univers de Pascal Lacerenza, c'est passer de la fiche, à laquelle son métier d'employé des Postes le confronte tous les jours, à l'affiche qui constitue son univers plus intime, celui où peut s'exprimer en toute liberté sa sensibilité artistique la plus profonde. C'est également franchir le seuil d'un kaléidoscope où l'équilibre précaire des formes le dispute à l'élégance des rapprochements de couleurs.
Cet art de la lacération d'affiches, auquel s'est consacré Pascal Lacerenza, n'obéirait-il qu'aux lois d'un pur hasard ? C'est ce que nous pousserait hâtivement à croire le geste d'arracheur-voleur d'affiches, du « lacérateur anonyme », glorifié et théorisé en 1949 par Jacques Villeglé, ou encore le travail d'un Mimmo Rotella qui, traversant une période de crise artistique en 1953, en sort, selon ses propres termes, grâce à une « illumination zen » : l'affiche publicitaire comme moyen d'expression artistique et message de la ville.
Nul doute d'ailleurs que la technique utilisée par Pascal Lacerenza n'est pas sans évoquer le concept du « double décollage » de Rotella, qui consiste à arracher l'affiche de son support, puis à l'encoller et à la superposer à d'autres affiches et, par l'opération répétée des déchirures, à faire émerger une image composite nouvelle, comme une stratification et une synthèse de toutes les images utilisées. Pur hasard, donc ? On touche là au noyau de toute création artistique. Est-ce le  hasard qui dirige la main de l'artiste ou plutôt l'intuition fulgurante inspirée et guidée par une somme incalculable d'expériences, emmagasinées dans le conscient et l'inconscient, qui se libèrent et se déchaînent au moment où celui-ci plus ou moins consciemment les sollicite ? Et ne sont-ce pas la qualité et la quantité de ces expériences qui déterminent les composantes de l'oeuvre qui émerge dans son esprit et sous ses doigts?
Quoi qu'il en soit, en ce qui concerne le travail de Pascal Lacerenza, le résultat est étonnant. Les savantes lacérations, dirigées par des mouvements minutieux et calculés des mains et des doigts, donnent naissance à de superbes compositions aux structures capricieuses et toujours élégantes, rehaussées par le choix très sûr des cadres qui en exaltent les tons et l'atmosphère générale qui s'en dégage.
Certes, dira-t-on, Pascal Lacerenza n'est pas un pionnier ou un inventeur. Mais existe-t-il vraiment des inventions en art ? Chaque artiste ne se nourrit-il pas, en harmonie ou en contraste avec elles, des oeuvres qui ont précédé les siennes ? En toute logique, Pascal Lacerenza parachève,en les transformant et en leur imprimant son sceau, les oeuvres d'un Villeglé ou d'un Rotella. Il s'inspire d'elles, comme par exemple les maniéristes, sans jamais les renier, s'inspiraient des oeuvres de la Renaissance, en insufflant à leurs créations un nouveau ton très original et personnel qui les en différenciait. Et puis lorsque le destin s'arrange pour vous distinguer du lot avec un patronyme comme celui de Lacerenza, comment ne pas être attiré et séduit par la lacération, d'affiches en l'occurrence ? Lacerenza ou le lacérateur par antonomase.
Avec un goût très sûr, qu'il exerce d'ailleurs dans d'autres domaines où il excelle, comme celui de la décoration ou de la restauration de meubles et d'objets -véritable travail d'alchimiste- Pascal Lacerenza atteint, à travers ses affiches arrachées, encollées, déchiquetées et amoureusement torturées, une poésie unique de la rue et de la vie. Tous les clichés et les topos de notre époque et de notre quotidien s'étalent, accumulation en apparence cahotique mais en réalité très concertée, sous nos yeux : lèvres écarlates et sensuelles, regards mystérieux et dilatés, visages célèbres ou anonymes, parcelles de corps mutilés ou disloqués, nourritures terrestres qui ne servent plus à apaiser nos appétits, rues, perspectives tronquées, pans de murs et de monuments, assemblages de lettres ou de mots qui, en syntagmes nouveaux, ont égaré leur cohérence première.

Tous ces tableaux, clins d'oeil humoristiques et poétiques à notre quotidienneté, étalent sous notre regard médusé et bluffé, un monde décomposé et recomposé, neuf dans le vertige de son foisonnement et de son absurde insignifiance. Insignifiance et absurde, dont l'art exalte la grandeur.

                                                                            Jean FRACCHIOLLA

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PASCAL LACERENZA   -   Affiches lacérées
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